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lubies et obsessions d'un âne debout

Mes lubies et mes obsessions, au gré de mes humeurs et de l'air du temps.

Comment va le bâtiment (5)

Publié le 26 Septembre 2010 par âne debout in témoignage

Voici quelques années, j'étais encore en activité, j'ai éprouvé le besoin d'écrire un témoignage sur mon expérience d'entrepreneur du bâtiment. J'avais prévu une dizaine de chapitres. J'en ai écrits un peu moins et ça m'étonnerait, maintenant que je suis passé à autre chose, ça m'étonnerait que je me remette à l'ouvrage.

Je publierai peu à peu ici les quelques chapitres écrits.

 

Après avoir publié un avant-propos vous présentant succintement mon parcours, je vous ai parlé des dossiers payants que nous devons acquérir pour faire un devis et je vous ai montré comment nous devions cotiser à une caisse de congés payés qui nous coûte très cher. Puis, je vous ai parlé des travaux supplémentaires. Le sujet de ce billet est le Compte Prorata.

 

schema_reception_garantie.jpg

 

 

Dépenses communes ?

 

 

Tant que le bâtiment n’est pas livré au maître d’ouvrage, il appartient aux entreprises qui le construisent. La livraison s’effectue à l’issue d’une procédure appelée « réception de chantier ». Lorsque le chantier est terminé, on réunit tous les intervenants, on vérifie que tout est terminé, que les réserves (anomalies ou défauts constatés précédemment) ont bien été levées, bref, que le bâtiment fonctionne et que le client peut en prendre possession. A partir de là, il doit l’assurer et prendre en charge les dépenses liées aux consommations d’eau, de gaz et d’électricité.

 Jusque cette réception du bâtiment par le maître d’ouvrage, toutes les dépenses communes de chantier doivent être prises en charge par les entreprises. Il s’agit essentiellement de la base vie (salle de réunions de chantier, salle pour les repas des ouvriers, vestiaires, toilettes) du panneau de chantier – vous savez, ce beau panneau à l’entrée du chantier, où le nom de tous les intervenants est inscrit et que seules les entreprises payent - et des consommations d’eau et d’électricité, dépenses affectées à un compte interentreprises appelé « Compte Prorata ».

« Prorata » parce que le paiement de la totalité des sommes figurant sur les factures correspondant à ces dépenses sera demandé à chaque entreprise au prorata du montant de son marché. L’installation des équipements est en général assurée par le titulaire du lot gros œuvre, qui en assure aussi la gestion, et la surveillance de la comptabilité du compte prorata est confiée à une commission de compte prorata composée de représentants de plusieurs entreprises, en nombre impair.

Somme toute, c’est une organisation assez simple et qui parait justifiée. Chacun, sachant que les dépenses communes devront être réglées selon ce principe et que le pourcentage ne varie pas beaucoup d’un chantier à l’autre, est donc en mesure d’en prévoir le coût approximatif à inclure dans son devis, soit dans les prix unitaires, soit, comme c’est le plus souvent demandé maintenant, sur une ligne à part bien identifiée. Tout fonctionne, l’organisation est en place, on n’a plus qu’à réaliser les travaux.

Où ça se gâte c’est quand la décision d’y affecter telle ou telle dépense, qui devrait être du ressort des entreprises et uniquement des entreprises, est prise par la maîtrise d’œuvre ou, pire, par la maîtrise d’ouvrage. Ce compte, qui ne devrait servir qu’aux dépenses communes normales et nécessaires au bon déroulement du chantier, sert un peu de dépôt pour toute dépense imprévue, justifiée ou non.

Par exemple – je ne commence pas par le pire - le nettoyage régulier du chantier est souvent un problème. Normalement, chaque entreprise a le devoir d’évacuer, au jour le jour, tous les gravats et déchets que génère son activité : chutes et restes de matériaux, emballages, etc. Parfois, sur décision du conducteur d’opération ou du coordinateur SPS, une benne affectée à cet usage est installée à proximité ; parfois, l’équipe de maîtrise d’œuvre fait confiance aux entreprises pour maintenir le chantier et ses abords dans un état correct où il sera facile et agréable d’évoluer et de se déplacer et où il ne sera pas dangereux de travailler. Mais, lorsque cette solution est retenue, il n’est pas rare de voir un chantier, au départ bien tenu, se dégrader peu à peu par la négligence de certaines entreprises, jusqu’à ce qu’une personne décisionnaire se fâche, mette en demeure les entreprises défaillantes de nettoyer le chantier et, au bout du compte, par les pouvoirs qui lui sont conférés, décide de prendre les choses en mains et fait intervenir une entreprise de nettoyage aux frais du compte prorata.

Vous me rétorquerez que les entreprises n’ont qu’à mettre de l’ordre dans leurs rangs et ne faire payer que les fautifs. Nous ne nous entendons pas toujours bien entre nous. Il arrive même que quelques entrepreneurs se disputent sur un chantier. Les travaux se trouvant imbriqués dans un déroulement chronologique, l’un reprochera à l’autre de retarder le chantier en n’intervenant pas à la date souhaitée, de ne pas prendre soin des ouvrages des autres corps d’état, etc. Mais, lorsque le coordinateur de l’opération décide, unilatéralement, de faire une dépense que les entreprises devront payer, nous ne sommes jamais loin de crier à l’abus de pouvoir. Seulement, chacun ayant plus ou moins contribué à la détérioration de l’état de propreté du chantier, personne n’est à l’abri de voir sa responsabilité engagée. Si l’on fouille dans les déchets, on trouvera bien quelques gravats de maçonnerie, quelques chutes d’éléments de couverture, de carrelage ou de plaques de plâtre, quelques pièces de bois ou d’aluminium, quelques restes de câbles et de tuyaux, quelques cartons d’emballage d’appareils électriques ou sanitaires, quelques vieux récipients de peinture, et même, mais là il faut bien chercher, quelques chutes et emballages de dalles de plafond suspendu. En fin de discussion, tout le monde accepte la formule en pensant que, finalement, il ne s’en sort pas si mal.

Je concède que cette affaire n’est pas très grave. Sauf quand l’entreprise de nettoyage qui, faute de temps, n’est pas mise en concurrence abuse de la situation et facture sa prestation à un prix exorbitant. C’est arrivé. J’ai des exemples.

Mon entreprise a eu à réaliser les plafonds suspendus pour la rénovation et extension d’une concession automobile d’une grande marque allemande de voitures de sport très chères. Suis-je assez vague ? Je ne voudrais pas dénoncer. L’architecte s’était engagé là dans une opération beaucoup trop importante pour ses compétences et il fut rapidement évident qu’il était dépassé par l’ampleur de la tâche. Ayant très tôt de gros soucis dans sa relation avec le maître d’ouvrage qui s’est vite rendu compte que beaucoup de détails, parfois importants, avaient été oubliés ou mal pensés, il a tenté de mettre les entreprises de son côté : il nous réunissait en dehors de la présence du concessionnaire, nous faisant signer des courriers réclamant au client des décisions qui auraient dû être prises par lui-même, nous recommandant fortement de nous méfier du client en ne réalisant aucune prestation non prévue sans obtenir un accord préalable écrit et chiffré, etc. Il n’a jamais établi de planning de travaux, laissant le chantier aller à vau l’eau. Il n’a pas créé de commission de compte prorata ni, par voie de conséquence, de compte prorata. Il s’est rendu compte, en cours de chantier, qu’il n’y avait pas de coordinateur SPS, ce qui est obligatoire dès que 2 entreprises sont amenées à travailler en même temps sur un chantier. La désignation n’en a été faite que très tardivement. L’inspection commune, procédure que le coordinateur SPS doit effectuer avec chaque entreprise avant le démarrage de son intervention a donc été réalisée en cours de travaux.

Cette opération, vous vous en doutez, s’est vraiment très mal déroulée. Les prestations initialement prévues ont été modifiées en permanence, pour cause d’infaisabilité, aussi bien en qualité qu’en quantité (allez passer des commandes précises à vos fournisseurs). Le délai - quel délai puisqu’il n’y avait pas de planning ?- n’était respecté par personne. La coordination entre les différents corps d’état n’était faite par personne. Nous n’avions pas ou très peu de compte-rendu de réunion de chantier. Une totale incurie du maître d’œuvre. Bref, une catastrophe !

En fin de compte, nous avons tous été conduits à nous désintéresser d’une construction qui se déroulait dans de telles conditions si bien que le chantier était en permanence dans un état déplorable. Un jour - à la demande de qui ? – est intervenu une entreprise qui a débarrassé le chantier et qui nous a facturé sa prestation à plus de 2.500 Euros. Comme il n’y avait pas de commission de compte prorata, l’architecte a lui-même déduit la part de chacun de nos factures finales.

Je reparlerai de ce chantier plus loin parce que bien d’autres anomalies, dans cette désastreuse opération, méritent d’être montrées.

Autre dépense affectée couramment au compte prorata, les dégradations subies par les ouvrages en cours de chantier. Si le menuisier casse un carreau de faïence, soit il le dit et s’arrange avec le carreleur pour la réparation, soit il ne dit rien et, si personne n’est en mesure de savoir qui est responsable de la casse, le carreleur est tenu de réparer. Dans un tel cas, où le dommage n’est pas très important, la plupart du temps le carreleur répare à ses frais, en râlant un peu, et ne cherche pas à connaître le responsable. Il en est de même quand l’électricien abîme des dalles de plafond suspendu : si les dégâts sont limités je remplace les dalles, s’il a vraiment travaillé comme un cochon, en ne prenant aucune précaution pour respecter mes ouvrages, je ne répare pas sans avoir son accord de prise en charge des frais. Si le fautif ne reconnaît pas sa responsabilité, en général le coordinateur décide d’affecter la dépense au pot commun, c’est-à-dire au compte prorata.

Avec ces exemples, vous pouvez penser que nous sommes entre nous et que nous n’avons qu’à nous arranger. D’accord. Mais quand les dégradations proviennent d’éléments extérieurs au chantier, nous sommes toujours responsables. En cas de vandalisme, nous sommes responsables. En cas de vol, nous sommes responsables.

Nous avons réalisé l’extension d’un bâtiment scolaire pour le compte d’une commune. Là non plus je ne voudrais pas dénoncer mais il s’agit d’une grande station balnéaire, au bout d’une presqu’ile. La veille du jour prévu pour la réception, les murs extérieurs ont été tagués. Les murs de l’extension mais aussi ceux du bâtiment existant. Pour se faire rembourser par son assureur, le maire a porté plainte à la Gendarmerie. Il a porté plainte pour les dégradations faites au bâtiment qui appartenait déjà à la commune mais pas pour l’extension, qui appartenait encore aux entreprises.

Cela veut dire qu’il a refusé de prendre possession, en l’état, de l’extension réalisée, bien qu’elle fût complètement achevée. Il a demandé à l’entreprise de peinture de refaire le ravalement du bâtiment de l’extension. Qu’il soit, en tant que maire, responsable de la protection des biens et des personnes sur le territoire de sa commune ne l’a absolument pas dérangé. Même dans une grande station balnéaire. Au bout d’une presqu’ile. Avec un célèbre établissement de thalassothérapie.

N’importe quel maire de n’importe quelle commune aurait fait la même chose puisqu’il n’a fait qu’appliquer les règles du code de la construction, code si favorable à l’acheteur.

 

Quand je vous dis que l’entreprise de bâtiment est le dindon de la farce !

 

 

 

 

 

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